Stevenson au Monastier sur Gazeille

Stevenson au Monastier sur Gazeille
La Stèle Robert Louis Stevenson au Monastier

C’est l’histoire d’une rencontre entre un homme et les habitants d’un village. Entre un homme et une région. Une rencontre qui a confirmé Robert Louis Stevenson dans son statut d’écrivain reconnu, une rencontre qui en fin de compte, a influencée la destinée du village Le Monastier sur Gazeille et toute la région traversée par l’itinéraire qu’emprunta Stevenson en 1878 pour rejoindre Alès à travers Velay, Gévaudan et Cévennes.

Aujourd’hui, une stèle (sculptée par Lucie Delmas, artiste habitante du Monastier) placée au cœur du village rend hommage à cet homme qui fit connaître Le Monastier sur Gazeille au public à travers son livre « Voyage avec un âne à travers les Cévennes ». Aujourd’hui, c’est cinq à six milles personnes venues de tous les horizons qui chaque année traversent le village en marchant sur ses traces, sur le chemin de Robert Louis Stevenson.

Ainsi, le passage de Stevenson au Monastier a un retentissement qui n’en finit pas de se propager dans les montagnes du Velay et bien au-delà des Cévennes. Il ne s’agit pas seulement du tintement des quelques écus qui tombent dans l’escarcelle des commerçants, loueurs d’ânes et hébergeurs de tous crins sur le chemin de Stevenson. Il y a autre chose… comme un murmure qui vient du personnage lui-même et de son goût pour les voyages, comme un écho, comme un appel qui donne envie de partir sur les chemins, de s’enivrer du parfum des genêts et des couleurs des montagnes lointaines, qui donnent envie de sortir des villes et rencontrer les habitants d’un terroir, d’une autre terre.

Et c’est peut-être ce qui traverse si bien les siècles et qui fait écho dans les esprits d’aujourd’hui : le besoin de voyage, de rencontre et de découvertes. Stevenson disait : « Je ne voyage pas pour aller précisément quelque part, mais pour le plaisir de voyager. En réalité, bon nombre de ses voyages furent motivés par des raisons de santé, ou par nécessité plus que par agrément, mais Stevenson aimait le mouvement, les déplacements, qui lui permirent de s’adapter aux aléas de son existence et d’y puiser de l’inspiration pour écrire.

C’est Marcel Proust qui disait : « Le voyage de découverte ne consiste pas à voir de nouveaux paysages, mais à voir avec un regard nouveau ». On peut se demander si le voyage de Stevenson à travers le Velay et les Cévennes lui a permis de jeter un regard nouveau sur sa propre existence, lui qui éprouvait le besoin de faire « le point » sur son rapport à la religion, sa vie amoureuse, ses relations familiales, son avenir.

Et c’est cela que l’on peut souhaiter à tous ceux qui parcourent le chemin de Stevenson, et aussi à ceux qui regardent passer les marcheurs : « Regarder le monde sous un jour nouveau » et comme le fit Stevenson, tracer son propre chemin, créer son avenir selon ses aspirations et ses sentiments, malgré sa santé fragile et les difficultés de l’existence.

Cet article a pour seule ambition de vous présenter quelques traces écrites du passage de Stevenson au Monastier et peut-être vous donner envie de lire « Journal de route en Cévennes » .

stevenson au monastier sur gazeille

Stevenson au Monastier sur Gazeille
Croquis du Monastier sur Gazeille réalisé par Stevenson en 1878

L’écrivain écossais Robert Louis Stevenson est arrivé au Monastier sur Gazeille vers la mi-août 1878. Il a séjourné durant un mois au village, où il prit pension à l’hôtel Morel (Le bâtiment existe encore, c’est là où se trouve l’actuelle pharmacie).

Pendant son séjour, il visita les alentours et entre autres le village de Laussone, sur les traces de l’écrivain George Sand qui s’inspira des habitants de ce village pour écrire « Le marquis de Villemer ».

Stevenson prit des notes à partir desquelles il rédigea plus tard l’essai « Une ville montagne en France » que l’on ne retrouve pas dans le livre « Voyage avec un âne dans les Cévennes » mais qui a été publié pour la première fois en 1978 dans le livre intitulé « Journal de route en Cévennes ».  

Stevenson au Monastier sur GazeilleVous trouverez dans cet article des extraits du chapitre « Une ville de montagne en France » de Stevenson, auxquels j’ai ajouté des notes qui proviennent du livre « Journal de route en Cévennes » et des commentaires personnels. Il m’a semblé intéressant d’apporter des témoignages d’actuels habitants du Monastier sur Gazeille, âgés de 50 à 70 ans (ou plus), qui furent témoins durant leur enfance d’un Monastier qui était encore une bourgade animée par de nombreux commerces et événements commerciaux tels que marchés, foires et fêtes diverses.

Stevenson écrivit : « Le Monastier sur Gazeille est le chef-lieu d’un canton montagneux de la Haute-Loire. Comme son nom l’indique, un monastère est à l’origine de cette ville et il possède encore un bâtiment massif flanqué de tours et une église de quelques prétentions architecturales ».

Stevenson n’a pas été inspiré par l’abbatiale du Monastier sur Gazeille, il ne s’est pas intéressé à l’histoire de la très influente abbaye de Saint Chaffre qui rayonna au moyen âge sur de nombreuses dépendances en France et en Italie.

Stevenson au Monastier sur Gazeille
Abbatiale et château du Monastier sur Gazeille

En revanche, Stevenson était intéressé par l’histoire des camisards et la résistance des protestants français en Cévennes. Stevenson a toujours été sensible à la révolte des réformateurs protestants d’Ecosse, les covenantaires qui luttèrent au XVII siècle contre le gouvernement catholique d’Ecosse. En 1866, alors qu’il était adolescent, Stevenson avait écrit « The Pentland Rising », récit qui retraçait un épisode de la bataille de « Rullion Green » dans les collines de Pentland.

Stevenson, petit fils de pasteur, bercé durant son enfance par les récits de covenantaires que lui faisait sa (très pieuse) nourrice, éprouvait le besoin de faire le point sur lui-même et par rapport au Christianisme.

Revenons au manuscrit de Stevenson :

« Le Monastier sur Gazeille se trouve au flanc d’un coteau à environ quinze milles du Puy, sur une route abrupte où les loups poursuivent quelquefois la diligence en hiver. »

« La route qui va dans le Vivarais, traverse la ville du Monastier sur Gazeille d’un bout à l’autre en une seule rue étroite ; on peut y voir la fontaine où les femmes remplissent leur cruche ; il y a aussi de vieilles maisons aux portes et aux frontons sculptés, ornés de fer forgé. »

« Les femmes sont assises dans les rues par groupes de cinq ou six, et l’on entend d’un groupe à l’autre le bruit de leurs bobines. De temps en temps, on entend une femme qui débite à haute voix des prières pour l’édification des autres au travail. Elles portent des châles voyants, des bonnets blancs ornés d’un ruban de couleur riante autour de la tête, et quelquefois un chapeau de feutre à la brigande sur le bonnet ; elle donne ainsi à la rue de la couleur, de l’éclat et un air étranger. Il y a quelque temps quand l’Angleterre se fournissait pour une grande partie dans cette région de la dentelle, il était courant de gagner cinq francs par jour et c’est une somme qui équivaut à une livre à Londres. Les femmes gaspillaient généreusement leurs profits, entretenaient les hommes dans l’oisiveté, elles étaient coureuses et menaient bonne vie ; les gens passaient la journée dans les cabarets, et le tambourin ou les cornemuses accompagnaient les bourrées jusqu’à dix heures du soir. »

Stevenson au Monastier sur Gazeille
Les dentellières

« Il y a de temps en temps un marché et la ville connaît alors un renouveau ; le gros bétail et les porcs sont parqués dans les rues et l’on sait qu’à cette occasion des voleurs à la tire viennent tout exprès de Lyon. »

« Les dimanches, les gens de la campagne se pressent en foule pour acheter des pommes, assister à la messe et rendre visite à un de ces cabarets qui ne sont pas moins de cinquante dans cette petite ville. »

Commentaire actuel (2017) à propos des commerces et de l’animation au Monastier : Le Monastier sur Gazeille était encore, dans les années 1950-60, un bourg commerçant animé. On trouvait dans la rue principale les échoppes des boulangers, bouchers, couturiers, chapeliers, marchand de chaussures, bijoutiers et parait-il une trentaine de débits de boisson répartis sur l’ensemble du village.

Il ne faut pas oublier que Le Monastier sur Gazeille est né de la longue histoire de son antique fondation monastique. L’ouvrage de Bernard Sanial ( Journal de Jean Clavel du Monastier Saint Chaffre de 1675 à 1703) nous renseigne sur les métiers pratiques à la fin du XVII siècle, 200 ans avant la venue de R.L. Stevenson. Les professions de santé et les métiers du bâtiment, les artisans de l’habillement sont nombreux, artisans du transport (muletier), les hommes de lois, militaires, religieux et prêtres sont très présents. Il y eu même une verrerie au Monastier !

Stevenson au Monastier sur Gazeille
Jour de marché au Monastier sur Gazeille

Revenons en 1878 :

« Il y a deux diligences par jour pour le Puy, mais elles rivalisent en concessions de politesse plutôt qu’en vitesse. Chacune attend une ou deux heures allègrement, pendant qu’une vieille dame fait son marché ou qu’un monsieur finit de lire les journaux au café. Le conducteur n’ose pas désobliger ses clients. Il ne cesse de retarder son départ heure après heure. Ces égards pour les fantaisies des gens donnent au voyage en diligence une note plus humoristique que nous n’y sommes habitués. »

« A perte de vue, une ondulation de crêtes et de collines se lèvent et disparaît derrière une autre. Le paysage est sauvage et chaotique plutôt qu’impressionnant, c’est un plateau plutôt qu’un pays de montagne, et ce qu’il a de plus frappant et de plus agréable dans le décor se trouve plus bas auprès des rivières. C’est là que l’on trouve vraiment de nombreux petits coins qui vous séduisent, […] où la nature est dans toute sa fraîcheur. […] Le cours de la Gazeille est un endroit de ce genre, là où elle arrose le pré communal pour descendre rejoindre la Loire ; c’est un lieu où entendre les oiseaux chanter, un lieu que fréquentent les amoureux. Le nom de la rivière a pu être inspiré par le bruit de l’eau sur les pierres, car elle gazouille bien, et le soir une fois dans mon lit au Monastier, je l’entendais chanter dans la vallée avant de m’endormir ».

Stevenson au Monastier sur Gazeille
Paysage du Velay

« C’est en gros un paysage écossais, bien que moins grandiose. […] Et par une curieuse coïncidence, la population est à sa manière, aussi écossaise que le pays. Les gens ont des manière abruptes, rudes, avec leur : « Où’st-ce que vous allez ? ».

« Pour cette population encline à la méfiance et à l’incivilité envers les étrangers, il faut considérer que le moindre détail entre en jeu lorsque vous vous présentez. Une fois que l’on sait que vous n’êtes pas dangereux, on devient aimable et on vous manifeste une hospitalité qui vaut presque celle des Highland ».

« Je ne tardais pas à devenir populaire et j’étais connu des milles à la ronde. […] Il y avait un groupe de dentellières qui m’apportaient une chaise chaque fois que je passais et me retenaient pour la causette. Elles débordaient de curiosité sur l’Angleterre, sa langue, sa religion, l’habillement des femmes. […] La langue en particulier les remplissait de surprise » : « – parle-t-on patois en Angleterre ? me demanda-t-on un jour, et quand je leur dis que non, « Ah, français, alors ». « Non, non », dis-je, « pas français ». Elles conclurent : « donc, on parle patois ! ». De tous les patois, elles déclarèrent que le mien était le plus ridicule et le plus drôle à entendre. »

 

« Le Monastier sur Gazeille est réputé pour la fabrication de la dentelle, l’ivrognerie, la liberté des propos et la discorde politique sans pareille ailleurs. Il y a dans cette petite ville des partisans des quatre partis français (légitimiste, orléanistes, tenants de l’empire et républicains)) et ils se haïssent, se détestent et se calomnient les uns les autres. »

« Ce peuple est ardent au prosélytisme, la fille du postier se mettait à discuter avec moi une demi-heure durant sur mon hérésie jusqu’à en devenir toute empourprée. »

Selon Auguste Jouret, la correspondance de Stevenson le conduisait souvent à la poste. Elise Chazal, fille du receveur, et sa sœur, ferventes et pieuses catholiques, n’admettaient pas qu’un homme si aimable et intelligent pût être « hérétique » huguenot. Les dévotes demoiselles en furent pour leur frais… Les mauvaises langues parlèrent d’une ébauche d’idylle…

Robert Louis Stevenson quitta le Monastier sur Gazeille le 22 septembre 1878 pour marcher à travers le Velay, le Gévaudan et les Cévennes vers le pays Camisard.

Pour faire une visite en image du Monastier sur Gazeille, suivez le lien Le Monastier sur Gazeille

Nous vous remercions de votre visite

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